Le vendredi 18 février,
Chers amis,
J’ai revu il y a peu un film qui vous aura certainement tous marqué : Gladiator de Ridley Scott. L’histoire s’ouvre sur une scène de bataille incroyable, on enchaîne avec les combats de gladiateurs, et surtout on termine par la confrontation entre Maximus Desimus Meridius, commandant en chef des armées du nord, général des légions Félix, fidèle serviteur du vrai empereur Marc Aurèle, père d'un fils assassiné, époux d'une femme assassiné, qui cherche vengeance contre Commode (dans cette vie ou dans l’autre, peu importe). Mais surtout, je n’avais jamais remarqué à quel point ce film véhicule des messages typiquement conservateurs. Je vous partage quelques passages marquants dans cette lettre, et je les mets en lien avec des idées que j’avais développées précédemment.
Amour du territoire
Marc Aurèle : Peux-tu me parler de ton foyer ?
Maximus semble ne pas comprendre, mais l'empereur hoche la tête.
Maximus : Ma maison est sur les hauteurs qui dominent Trujillo. Un endroit très simple. Des pierres qui chauffent au soleil. Euh… Un potager qui sent les aromates la journée, et le jasmin le soir. À l'entrée, il y a un énorme peuplier, des figues, des pommes, des poires et la terre, Marc Aurèle, noire. Noire comme les cheveux de ma femme. Des vignes sur le coteau sud, des olives au nord. Près de la maison, des chevaux sauvages viennent narguer mon fils. Il voudrait être l'un d'eux.
Marc Aurèle : Depuis quand n'es-tu pas rentré chez toi ?
Maximus : Deux ans, deux-cent-soixante-quatre jours et ce matin.
Marc Aurèle : Ah, je t'envie, Maximus. Tu as une belle maison. Qui vaut la peine de se battre.
L’attachement au territoire et à ses habitants est à la base du conservatisme. La perpétuation du « Nous » doit motiver toutes nos décisions politiques.
Transcendance :
Lucilla : Cela t'a touché de voir mon père si fragile. Commode espère que mon père va annoncer sa succession, ces jours-ci. Serviras-tu mon frère comme tu as servi son père ?
Maximus : Je servirai toujours Rome.
Il y a une distinction évidente à faire entre l’idée que représente un pays, et le régime politique. Ce dernier est subordonné au pays, car on ne donne pas sa vie pour un régime politique, à moins d’être un extrémiste politique.
Respect des anciens
Maximus : Mes ancêtres, je vous demande de me guider. Mère bien-aimée, indique-moi comment les dieux voient mon avenir. Père bien-aimé, veille sur ma femme et mon fils l'épée à la main. Murmure-leur que je ne vis que pour les retrouver. Mes ancêtres, je vous honore. J'essaie de vivre avec la dignité que vous m'avez enseignée.
Sur ce passage, je vous renvoie à ma lettre sur le Mos Majorum, qui est parfaitement incarné dans ce passage dans lequel Maximus rend un culte à ses ancêtres.
Lucilla : Est-ce que Rome vaut la vie d'un homme de bien ? Nous l'avons cru autrefois. Il faut le croire à nouveau. Il était un soldat de Rome. Honorez-le.
Ce point est crucial : la patrie ne peut perdurer que si certains sont prêts à se sacrifier pour elle. Si cette idée est perdue, alors le pays est amené à disparaître. D’où l’importance du respect que nous devons à ceux qui sont morts pour la France.
Devoir
Maximus : Tu ne trouves pas difficile de faire ton devoir ?
Cicéron : Je fais parfois ce que je veux faire. Le reste du temps, je fais ce que je dois.
Effectivement, nous avons des obligations. Quelles sont-elles ? La pensée de Simone Weil peut nous éclairer sur ce point.
Grandeur
Commode : Mon père a fait la guerre aux barbares. Et il a dit lui-même que ça n'avait mené à rien. Mais le peuple l'a aimé.
Lucilla : Le peuple a toujours aimé les victoires.
Commode : Pourquoi ? Il ne voit pas les batailles. Pourquoi se soucierait-il de la Germanie ?
Lucilla : Il se soucie de la grandeur de Rome.
Commode : "La grandeur de Rome." Mais qu'est-ce que c'est ?
Lucilla : C'est une idée. La grandeur. La grandeur est une vision.
La grandeur est au cœur de la pensée gaullienne, et le général la tire certainement de ses lectures de Châteaubriand. L’écrivain se demande en particulier dans ses Mémoires d’Outre-tombe, quelles ruines laisserons-nous pour l’avenir ? La grandeur permet de conserver le « Nous », de le faire perdurer en renforçant sa cohésion autour d’une vision commune.
Vision de long terme
Gaius : Et qui va payer tout ça ? Ces jeux quotidiens nous coûtent une fortune. Nous n'avons pourtant aucun nouvel impôt.
Lucilla : L'avenir. L'avenir va en payer le prix. Il a ordonné de vendre les réserves de blé.
Gaius : Ce n'est pas possible.
Lucilla se lève.
Lucilla : Il vend les réserves de blé de Rome. Le peuple mourra de faim dans les deux ans. J'espère que ces jeux leur plaisent, parce que ces jeux les feront mourir.
C’est évidemment l’un des traits du conservatisme, son caractère durable qui manque cruellement aujourd’hui. C’est en particulier à l’aristocratie (incarnée par le général Maximus et les sénateurs) de porter cette vision, et d’empêcher la corruption du peuple par “le pain et les jeux”.
Responsabilité personnelle
Maximus : Tu n'as donc rien compris ? Je peux mourir dans cette cellule ce soir, ou dans l'arène demain ! Je suis un esclave ! Comment pourrais-je changer quelque chose en ce monde ?
Les conservateurs s’opposent à une vision matérialiste de l’histoire, où l’individu serait complètement déterminé par la société dans laquelle il évolue. Au contraire, il partage avec les libéraux l’idée selon laquelle chacun peut forger son destin, et devenir le héros qui va régénérer la société.
N’hésitez pas à me dire ce que vous pensez de ces comparaisons. Cette petite analyse m’a permis de prendre conscience à quel point la culture a une importance cruciale dans le fonctionnement de la société. Malheureusement dans notre pays, les conservateurs ont largement délaissé ce champ d’activité, qui reste à réinvestir.
Je suis votre humble et dévoué serviteur,
Vivien
P.S : Dernières paroles de l’empereur Marc-Aurèle (1844) par Eugène Delacroix, actuellement au Musée des beaux-arts de Lyon.